Articles dans 'Société, culture,'

Oublis et dépendences

Ajoutez un commentaire 17 février 2012

boueeUne amie, amie depuis 25 ans, a oublié mon anniversaire. Mais tu ne l’as pas mis sur Facebook! s’exclama-t-elle quelques jours après, entre justification et reproche. Combien de gens ont confié leur mémoire, la gestion de leur vie, à cette plateforme propriétaire, sur le point d’entrer en bourse, qui les infantilise en les “sociabilisant”? Un jeune geek a réussi (lui et son “business dream team”) a obtenir gracieusement des gens ce que des états, totalitaires ou pas (mais quel état ne l’est pas - un peu, beaucoup, à la folie?) se sont évertués à obtenir pendant des décennies, voire des siècles, par ruse ou par force. Il a réussi à tresser une corde avec les fils réunis de leurs égos - et, après leur avoir ôté les vêtements, les a attachés avec cette même corde face à la Montagne de Sucre qu’ils lèchent sans arrêt, la ’sucrant’ un peu plus à chaque frottement de langue.

Su(rv)ivre

Ajoutez un commentaire 13 août 2011

E-meutes, Réseaux asociaux, Cultuer

« -Ouvaton, chef ?
-A Niou London
 »
(salutation rituelle). Will Self, Le livre de Dave

pixel ardentIl semblerait que l’internet haut débit ait dépassé -et de loin – la vitesse de la pensée. Chemins virtuels ouverts à la juste colère – ou à la colère tout juste – doigts qui tapotent : aussi rapides que l’éclair, aussi brillants qu’une allumette. Prophètes d’une terre promise au pillage « venez et achetez sans argent » (Isaïe 55.1), car tout cela vous a été interdit, ergo donné .

Voici que les dépôts des lieux communs ouvrent les vannes : feu aux poudres, malaise (et fracture) sociale, échec (et mat) de l’intégration. Du dégoût à la pseudo compréhension, de la compassion à la rage, les opinions fusent comme des feux d’artifice en sucre glace dévorés – et recrachés aussitôt - par la presse.

Pendant ce temps, le gentil vaisseau extraterrestre qui allait se poser sur Wimbledon rebrousse chemin. Il a du mal à interpréter de là-haut ces langues de feu, ces immeubles qui brûlent : ne sait pas si le prendre comme une marque de rejet ou comme un signal de détresse.

« La meute est une entité par l’action », disait Elias Canetti (Masse et Puissance). Constellation changeante e instable, dynamique dans la destruction. Mais pas désorganisée pour autant. Et avec des armes jamais employées auparavant, des réseaux qui socialisent pour mieux « désocialiser », pour transformer une boule de neige en boule de feu, pour enrichir la meute en e-meute. Car, dans cette configuration-là, il faut suivre pour survivre ; le rendez-vous devient ensuite incantation, possession, transe libératoire et meurtrière. N’est-ce pas que le meilleur propulseur du progrès social est l’accès pour tous aux nouvelles technologies?

Et alors on trouve comme par magie la réponse « juste », la réponse ferme  : celle du fermier face aux loups, celle de la loi du Talion. « Dent pour dent », disent-ils, sans se souvenir (ou peut-être parce que leurs connaissances mythologiques sont aussi faméliques que celles de leurs « adversaires ») que des dents du dragon tombées par terre, naissent toujours des guerriers.

trAnsPARENCES

Ajoutez un commentaire 26 février 2011

Zamiatine, Faceleaks, Andersen

apparnce rienCelui qui ne voyait pas sur les épaules du roi le manteau de brocart et pierreries n’était pas enfant de parents honnêtes. Et il était, de surcroit, imbécile. Alors ils voyaient tous l’étoffe rare, l’éclat des pierres. Et ils s’écriaient, en chœur : quelle beauté, quel métier, quel ouvrage! Car ils aimaient tous leurs parents – et s’aimaient encore davantage eux-mêmes. Les escrocs, eux, ont cher vendu leur vent.

Et pourtant il était devant eux, l’empereur, nu comme un ver sorti de sa pomme. Mais il n’y a pas d’œillères plus efficaces que le poids de la masse, de l’opinion admise, du qu’en-dira-t-on.

Ainsi la lettre volée de Poe, qui se dérobe en se montrant. En l’offrant à la vue de tous le coupable la cachait, car on cherchait partout sauf là, devant leurs yeux, où le fameux document les narguait.

Que nous cache-t-on en nous montrant, avec impudique insouciance, le dessous des cartes du monde vu à travers les yeux myopes de la diplomatie américaine ? Comment a-t-on érigé en vérité ultime ces câbles biaisés, qui se sont laissés capturer avec une si enfantine facilité ?

*

Visages livrés, rumeurs suintant du mur dans une délicieuse parodie du courage : deux faces d’une même monnaie. Une monnaie de plomb vendue comme de l’or par des faussaires alchimistes – et dont la devise est « Rien à cacher ». Mais comment cacher -bien entendu -le « rien »?

Dictature des apparences, dictature de la transparence. Ils vivent dans la société idéale, jour et nuit sans rideaux, des murs en verre - des corps en verre, surfaces sans nom et sans ‘intime’. Le bonheur est dans la lobotomie. “L’Homo sapiens ne devient homme – disent-ils - que lorsqu’il n’y a plus de points d’interrogation dans sa grammaire”. Le « moi » a été écrasé par le « nous », par les amis qui aiment « ça ». L’élément D-503, orthodoxe gardien du système, se voit « dévié » par une femme qui a gardé, par miracle, comme d’autres dissidents, les plaisirs de la vie à l’ancienne. Son journal change alors, des sentiment affleurent, il cherche le rare instant d’ombre… Les conséquences, surtout pour la femme, sont désastreuses… Car dans un monde où tous sont vus de tous - et tout de ce ’sur-tout’ que l’on confond à tort avec l’un, le seul journal vraiment intime, la seule authentique parcelle de vérité, ne peut germer qu’à l’abri de la lumière.

Que deviendrions-nous sans les ‘Barbares’?

Ajoutez un commentaire 21 décembre 2009

ave sobre la cruz Dans la pièce de Boris Vian “Les Bâtisseurs d’Empire” on trouve un étrange personnage, le Schmürz, souffre-douleur par excellence, réceptacle de la colère et de la frustration des autres. Les autres, qui, au fur et à mesure que leur univers se réduit, se décompose, versent sur la pauvre victime leurs envies de destruction. Il y a toujours un Schmürz. Il change de couleur, de religion, de nom. Mais il est toujours là, valve d’échappement des sociétés à la dérive. Ainsi, à l’approche des fêtes, j’ai trouvé intéressant d’accompagner cette ébauche de post d’un poème de Cavafis, que, je ne sais pas pourquoi, j’associe avec le Schmürz.

EN ATTENDANT LES BARBARES

Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.

Pourquoi cette léthargie, au Sénat?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui.
À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que notre empereur attend d’accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.

Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses
finement ciselées d’or et d’argent?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.

Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?

Parce que les Barbares seront là aujourd’hui
et que l’éloquence et les harangues les ennuient.

Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? - Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?

Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu’il n’y a plus de Barbares.

Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution.

C. Cavafis

Ceux qui veulent châtrer…

2 comments 16 novembre 2009

…l’islam

homme verité Étrange initiative – populaire – que celle lancé par un parti suisse connu par ses penchants xénophobes et antieuropéens. Il s’agit rien de moins que de fixer dans la loi l’interdiction de construire des minarets, ces appendices verticaux des mosquées. Étrange –davantage –le fait que des personnes traditionnellement ouvertes à l’Autre, et à sensibilité de gauche, se déclarent tantôt dubitatives, tantôt prêtes à voter à faveur de l’initiative. Étrange – en apparence – que certaines femmes éclairées, notamment des féministes, votant et ancrées principalement à gauche, se disent séduites par celle-ci. A la question du pourquoi, elles (et ils) évoquent immanquable et incessamment l’oppression des femmes, le manque de liberté de ces dernières et, en général, l’extrémisme religieux. A la question de savoir où se situe le lien directe entre ces tours à capuchon et le voile islamique, elles (et ils) insistent sur le caractère moyenâgeux des pratiques, sur l’aspect conquérant et agressif d’un tel objet architectural.

Loin de moi prétendre maîtriser la « chose psychanalytique », mais dans ce cas précis il y a des éléments qui sautent littéralement aux yeux. Cet engouement pour l’amputation d’un organe de béton, sans rapport logique ni, utilisons le mot, conscient, avec les éléments qu’on escrime pour le combattre, a de quoi faire dresser l’oreille. Le minaret se lève, raide et vertical dans le paysage. On lui associe fantasmatiquement une signification conquérante, certains le comparent à une baïonnette, d’autres, notamment les fabricants de l’initiative, en voient un missile. Symboles phalliques qu’on lui associe donc, d’une masculinité agressive et, pour certain(e)s, menaçante. Ainsi voudrait-on, inconsciemment (et ce mot est utilisé ici avec ses deux sens possibles) l’extirper, rendre impossible son érection. En d’autres termes, “féminiser” la religion, lui enlevant son « attribut » masculin dans le fantasme, le phallus-minaret.

Mais il serait temps, pour celles et ceux qui agissent dans la situation présente comme hypnotisé-e-s, de secouer leur inconscient, et, ainsi (r)éveillé-e-s, percevoir les vrais enjeux, et placer leur énergie combattante là où cela le mérite vraiment.

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