Articles dans 'Archives / conservation'

Droit…à la vérité

Ajoutez un commentaire 12 octobre 2009

homme verité[..]Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
Pilate lui dit: Qu’est-ce que la vérité? Après avoir dit cela, il sortit de nouveau […]
Jean, 18

Le Conseil des droits de l’homme (CoDH), dans le point 7 de sa résolution 9/11, demande au bureau du Haut commissaire sur les droits de l’homme une étude sur les meilleures pratiques dans l’implémentation du droit à la vérité, en particulier concernant la protection des archives sur les violations des droits humains.

L’étude (A/HRC/12/19 ) fut présentée dans la 12ème session du CoDH, en septembre 2009. On y trouve des allusions à l’importance de : la préservation, les codes de déontologie, la migration vers des supports numériques nouveaux ainsi que la formation professionnelle des archivistes.

Les archives et les « records », sont donc (ou seraient) de première importance quand il s’agit de connaître « la vérité », c’est à dire, ce qui s’est vraiment produit en un lieu et un moment précis. A partir de là il est possible de savoir, de comprendre, de dénoncer, de juger et, éventuellement (mais ce n’est pas forcément le but) de pardonner.

Précieux dépôts d’atrocités que ces archives, précieux pour la justice et la mémoire. Mais faut-il encore qu’ils soient « écoutés » comme il se doit, qu’on ne tourne pas le dos à leur témoignage, comme fit Pilate nous léguant à jamais cette béance de la réponse ultime, jamais entendue. Et après il se lava les mains.

Car un certain et inévitable angélisme très onusien se glisse dans l’étude, qui place trop d’espoir dans les archives institutionnelles, sachant que, dans de n-ombreux états, celles-ci sont un outil de (du) pouvoir et que les violations officielles n’y trouveront pas leur place. Et que, même au Conseil, compte tenu des rapports de forces, ce n’est pas toujours la vérité (ou ce que nous nommons ainsi) qui triomphe.

Et tout cela, réflexions fumeuses d’un octobre brumeux, me rappela ce conte (ou plutôt cette parabole) africain :

Le Mensonge et la Vérité, deux guerriers qui se haïssaient à mort, s’affrontèrent à coup de machette. Le Mensonge, plus habile, trancha le premier la tête de la Vérité. Mais celle-ci, plus courageuse, avec ses forces ultimes, et (logiquement) sans voir, coupa à son tour la tête du Mensonge, qui tomba. Elle tenta ensuite de récupérer son chef, mais, ne voyant pas, attrapa celui du Mensonge et le planta dans son cou. Dès lors, c’est ainsi qu’il parcourt le monde, ce survivant, être double et étrange : le corps (et le cœur) de la vérité avec le visage (et le cerveau) du mensonge.

La déesse et le boxeur

Ajoutez un commentaire 21 août 2006

L’archiviste comme générateur de réalité (divagation de rentrée)

raquette abandonnée sur les ruines de Nora. Photo par BenideL’homme (et la femme) n’est pas seulement un animal politique mais aussi et surtout un animal qui interprète, l’exégèse étant sa forme privilégiée de s’approprier la réalité. Mais l’interpretation est aussi source de confusion, interpréter est, presque ontologiquement, mal-interpréter, et le traduttore est toujours tradditore.

Au sud de la Sardaigne, loin des paillettes de la jet-set, il existe un site archéologique extraordinaire appelé Nora. Les périodes historiques s’y chevauchent, car le site, palimpseste de pierre, fut occupé successivement par les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains, ravagé par les Arabes, foulé par les Espagnols. On croise presque à la entrée du site une colonne appartenant prétendument à “un temple de Tanit” déesse Phénicienne et Carthaginoise. Ceux qui ont affirmé ceci - étayé dans tous les guides touristiques, y compris ceux vendus à Nora - se sont basé sur des bribes -une petite pyramide de pierre semblant appartenir à la déesse, etc. Or, des fouilles et surtout des analyses plus poussées ont permis de déterminer avec une - presque - grande certitude que la bâtiment en question était en réalité une forteresse carthaginoise. On découvre cela sur el site web officiel des fouilles, ténu par des scientifiques.

Encore plus époustouflant, à quelques kilomètres de là, sur l’île de Crète. Le célèbre “Prince aux lys” de Cnossos, présent sur des livres d’art, guides touristiques et cartes postales et “merveilleusement” reconstitué par Sir Arthur Evans, ne serait qu’un fantaisiste assemblage de morceaux appartenant à une déesse et à un lutteur. L’histoire de l’art, et l’histoire tout court, récréée par le délire interprétatif.

Si, dans le cas des fouilles archéologiques, la responsabilité se situe au niveau de la reconstruction,et la compréhension à partir des éléments conservés naturellement (ayant subi, il est vrai, en occasions, les déprédations des hommes et du temps), il en va différement des documents - papier ou autres - dont l’archiviste - quand il / elle existe - a la responsabilité. Dans son cas il s’agit d’une intérpretation qui guidera un jugement conduisant à un choix qui, lui, conditionnera les interprétations futures des historiens. Choix (cornélien allais-je dire, tombant comme une mouche dans le miel tiédasse du lieu commun) des documents à conserver ou à détruire. Le background culturel, la science historique acquise et la connaissance de l’institution constituent évidemment des atouts pour effectuer le “bon” choix. Bon choix dans le moment présent, mais on travaille, en principe, pour l’avenir. Et dans l’impossibilité de tout conserver, car même la Terre a une superficie limité à 510 100 000 km2, l’archiviste façonne à sa façon la vision que les générations futures auront du passé (dévoile, cache). L’art du bon choix c’est aussi l’art de l’ellipse et le conservateur devient créateur (l’ombre du docteur Frankenstein plane un moment et puis s’efface) . Ainsi, la corruption naturelle du temps, les intempéries et les impondérables de la bêtise humaine (et là la mouche tombe effrontément) se joindront à la sélection du spécialiste et rendront moins improbable la rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur la table de disection. Sont elles venues de leur propre gré, par force…? Voici l’une des question cruciales à répondre avant tout.. mais comme répondre correctement si…?

Et là nous pourrions tomber dans les éternelles questions philosophiques (et même bibliques) : “qu’est que la vérité?, etc.” Donc pour couper court nous parasitons John C. Powys, auquel nous consacrérons peut-être un billet :

La vie n’a pas de vérité intrinsèque Pas plus qu’elle n’a de vérité extrinsèque Elle n’a pas de vérité, un point c’est tout.

Dur à avaler pour un professionnel de la mémoire, censé être au service de la / une vérité. Dur de penser que tout, même les inventaires, les calendriers de conservation et les billets de blog légèrement inutiles retourneront à la poussière de la confusion et de la dissolution du sens. Car Tout retournera à cette bonne vieille poussière (les boîtes de conservation non acides n’y pourront rien). Heureusement la poussière, disait un restaurateur renommé, est aussi information. Ouf!


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