17 août 2014
“J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques”
Rimbaud. Le bateau ivre
L’île d’Aphrodite se devait d’être escale obligée du poète. Mais c’est avec ses mains qu’il a laissé une trace dans les contreforts du mont Troodos, briques de terre et dalles de pierres en lieu et place de mots. Ainsi le poète français a construit en 1880 une maison pour le gouverneur britannique de Chypre - là où une plaque à la précision aléatoire s’offre aujourd’hui comme maigre souvenir : « Arthur Rimbaud […] au mépris de sa renommée, contribua de ses propres mains à la construction de cette maison ».
Carrefour, creuset, bouillon de culture et de cultures de la contradiction et du paradoxe, Chypre nous surprend : au coin d’une rue touristique un trou dans la roche s’avère tombeau sacré, une martyre juive, Salomone, est vénérée comme sainte - Agia Solomoni - par les orthodoxes à Paphos. ; dans Omodos, un village perché où le temps s’est -en apparence -arrêté, une échoppe fait dialoguer (ou chanter ensemble?) dans ses rayons, des icônes traditionnels peints à la main et une figurine rembourrée de Psy, le chanteur coréen de « Gangnam style ». Comme si Rimbaud, toujours en avance sur son temps, avait amené dans ses valises le virus du Surréalisme, le disséminant dans l’île des chevaliers de Saint-Jean.
25 novembre 2007
Les Grands Lacs ou la documentation qui fait mal
J’avais pensé clore mon petit blog par l’article précédent. Il se trouve que taper sur un clavier peut-être une des manières les plus soft d’évacuer son indignation, sinon sa rage, et la transformer en quelque chose d’anodin.
Trop de “je” dans ce post : je te demande de m’excuser ô hypothétique lecteur! Il se trouve aussi que j’enseigne les rudiments de la documentation (et autres bricoles techniques) à trois stagiaires autochtones d’Afrique (une Kel Tâmashâk - Toaureg selon la dénomination coloniale et deux Batwa - Pygméees selon le même principe). Il se trouve que dans la région des Grands Lacs se sont produits récémment des événements d’une certaine gravité dont je ne parlerai pas ici mais qui touchent notamment un des stagiaires Batwa. D’autres canaux seront plus appropriés pour agir.
Cette situation m’a permis d’apprendre le sens terrible d’un mot sous lequel , avec une toute autre signification, nous sommes beaucoup à travailler. Il se trouve qu’au Rwanda la police des renseignements (et accessoirement d’exécution de basses oeuvres dont, paraît-il, les interrogatoires “musclés”) est nommée la “Documentation”. Cela signifique que ce sont les “documentalistes” qui posent les questions : on a tout intérêt à répondre vite et bien et surtout il est conseillé de ne pas arriver à une telle rencontre.
Maintenant vous le savez, si jamais vous visitez cette au demeurant charmante région et que vous êtes invité au “Centre de documentation”, assurez-vous qu’il s’agit de celui en rapport avec l’information documentaire. Autrement il se pourrait que vous ayez du mal à en sortir.
23 décembre 2006
A l’approche de Noël, loin des débats linguistico - professionnels locaux, voici un petit délire verbal … joyeuses fêtes!
L’araignée-moustique
L’araignée-moustique tisse son propre linceul. Délicatesse du suicide, elle volera jusqu’au festin involontaire, dégustera le sadisme subtil de l’invisibilité.
L’araignée-moustique, repue et oublieuse, fera l’amour avec lui-même, se laissera piéger par son chef-d’œuvre, périra dans une danse schizophrène.
La fourmigale
Une fourmi à tête de cigale peut être horriblement dangereuse. Tout d’abord pour elle-même : cette travailleuse infatigable à mine de fainéante se déchire à la tâche pour changer le rendu du miroir. A force de sueurs inutiles, elle devient hargneuse, inconstante : une mélodie de peur s’étale dans sa fourmilière. La température monte dans son grenier, fait croustiller le grain, transforme son dard en diamant. Elle dévore ses réserves, grossit autant que son agressivité, son venin est imparable. Des souris, des cafards et même des oisillons insouciants en font les frais : rien n’arrête la faim de vengeance de la fourmigale.
Des flammes s’élèvent de toute cette énergie, la terre grésille avec un air de violon, la mutation dégage des astres maléfiques.
Elle ne bouge plus maintenant, mais son visage est marqué par l’effort. Elle étale ses huit pattes, bouche d’un caillou l’entrée de sa tanière.
Et, tel un Néron jusqu’au-boutiste, elle rôtit avec son poison dans le théâtre de sa haine.
Le cochon-fleur
Ses pétales de chair appétissante s’étalent sur la pourriture. Transpiration de graisse parfumée, vocation d’abattoir. Il aimerait trôner sur une boutonnière, se faner avec nonchalance dans un vase de Chine à l’eau jaunâtre. Ses effluves attirent des guêpes malveillantes, les léopards des prairies affûtent leurs couteaux. Des mains taillées à la lessive le cueilleront sans tendresse, le sécheront dans une cave jusqu’au festin de la nuit. Point de langage chiffré pour la demoiselle, point de langage d’amour. Mais frénésie des dents, orgie gourmande, crépitement de pistils dans la poêle de l’horreur.
B.D.