Articles du 13 mai 2006

Les messagers et le message

2 comments 13 mai 2006

Le Web 2 “social” et le danger de la dissolution du sens

dissolution numérique

“Ils furent invités à être des rois ou des messagers des rois. Comme des vrais enfants, ils voulurent tous être des messagers. C’est pour cela qu’il n’y a que des messagers qui chevauchent à travers le monde et, comme il n’y a plus de roi, ils se crient les uns aux autres des messages sans sens…”
Kafka


Si les propos divergents sont diaboliques, me voici provisoirement (car d’habitude sur l’autre rive) en avocat du diable, à contre-courant de l’euphorie ambiante. Avocat commis d’office d’ailleurs parce que ma voix se noiera certainement dans le néant. C’est donc avec la liberté que donne l’inutilité que je m’exprime.

Au délà de la technologie, il y a dans le dénommé Web 2.0 cette “implication plus forte des utilisateurs” dont parle F. Cavazza (FredCavazza.net). Ah le Web 2, les réseaux communautaires…Le village global devient maintenant une méga yourte mongole où l’on se promène dans une sain(t)e promiscuité, et la technologie se met au service de l’union mystique vers la Sainte Information. Que serait-il de nous si nous ne maîtrisions pas les blogs (comme source et comme instrument), les fils RSS, les folksonomies (ou “peuplonomies”, encore mieux)?…Ah les délices de del.icio.us et les tags partagés! Si toi ô mon / ma hypothétique lecteur / trice n’est pas à l’aise avec ces termes, c’est que tu es en danger de mort sociale…(professionnelle?!).

On regarde avec vénération effroyée et teintée de lassitude ces êtres doublement “branchés”, spécialistes de l’information performante, partagée, démultipliée, filtrée et sélectionnée. On s’abonne, on partage, on copie, on répète, on décrit, on synthétise (dans le meilleurs des cas). Le but? a) Ce serait un accroissement de l’efficacité, un avancer ensemble vers le progrès et la totalité.

Le sens

Qui crée le sens? Je dis le sens, non le contenu. On peut écrire “lulibulibu” 5 millions de fois et cela donnerait, imprimé, un beau volume avec du “contenu” mais … avec du sens? Dans la grande toile, les contenus multiples / multipliés et assemblés créent-ils automatiquement du sens? Ce sens, le cherchons nous vraiment? A quoi cela servirait? Et … au service de qui sommes-nous?

Il y a l’entreprise, direz-vous. Oui, mais l’entreprise cherche du profit, des parts de marché, dévancer la concurrence, pas du sens.

Il y a la recherche de pointe, etc. direz-vous. Oui, mais la recherche, quand elle n’est pas au service de l’entreprise, et du profit, cherche des résultats, pas du sens.

Mais à quoi sert donc le sens? Sortons de l’entreprise, la recherche. Allons dans le monde “de tous les jours”, la vie quotidienne de nos bibliothèques, fréquentées par des futurs cadres d’entreprise, chercheurs et documentalistes, mais surtout des êtres humains qui sont et seront hantés par la névrose et le déracinément. Notre rôle est non seulement de donner accès à l’information comme alibi mais de donner du - vrai - sens à l’information. Cela implique connaissance des outils mais aussi une formation solide à la réflexion et au discernement, un état d’alerte (ne pas confondre avec la veille) constant, et une remise en question sans fin.

Aparté : n’oublions pas que dans certains pays les blogs et autres systèmes de publication de contenu servent à l’expression de l’oposition et des minorités (quand l’accès à Internet et les brèches dans le mur de la censure numérique le permettent). Ici ce sont l’acte et le contexte qui donnent du sens.

Le but (b)

Paradoxalement, plus on se dilue plus on veut gonfler le moi, c’est une exaltation subtile de l’ego, un narcissisme doux qui nous fait participer (moi y compris), nous exposer, entrer dans le jeu grassement enrichissant et sournois du “tout au réseau social” et la mode technologique.

Recul

Si nous nous définissons et véhiculons le réflexe de nous / se définir - ainsi que nos vérités - seulement par rapport aux autres, aux réseaux et au prestige obtenu grâce aux miroirs multiples et à la “contre-citation” - autant de mirages … qui sommes-nous? Où est notre indépendance?

Au délà des vers archiconnus de T.S.Eliot (où est la sagese que nous avons perdu dans la connaissance…) il faudrait méditer ces propos - je m’excuse de les détourner quelque peu de leur but originel - du rabbi de Kotzk, et en trouver le sens profond sous l’apparente tautologie :

“Si moi je suis moi parce que Tu es Toi, alors je ne suis pas moi, et Tu n’es pas Toi. Mais si je suis moi parce que je suis moi, et que Tu es Toi parce que Tu es Toi, alors je suis moi, et Tu es Toi.”


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