Prise de conscience (accessibilité et bibliothèques, suite) Babel Alexandrie aller-retour

Détective ou créateur ? L’exégète ID sur la corde raide face à l’usager

18 février 2007

demi-pomme mystère. Par benideSans vouloir pénétrer dans le terrain glissant de l’histoire de l’art, et assumant le risque de la simplification, force est de constater que, depuis la fin du 19ème, siècle, l’attitude interprétative des profanes – et souvent des « spécialistes » - face à l’oeuvre oscille entre deux pôles : le déchiffrement et la récréation. La première attitude, plus répandue, implique que l’œuvre en question est une énigme à résoudre dont il faut trouver les clés, le sésame. Une fois celui-ci trouvé, le sens, la vérité cachée – forcément unique – s’ouvre à nous comme un fruit tranché par un couteau. La deuxième attitude comporte évidemment un risque ainsi que l’assomption d’une liberté. Il s’agit de prendre l’ouvre analysée comme point de départ d’un nouveau discours censé éclairer par l’enrichissement et non par le dépouillement. Une « nouvelle » œuvre naît de cette approche, tout en contenant la première. Mais dans le deux cas, une connaissance approfondie du contexte et une culture générale élevée sont facteurs de succès.

Le spécialiste ID, que ce soit bibliothécaire ou documentaliste, se place devant la question comme le critique devant un tableau. La question de l’usager peut être envisagée comme une œuvre d’art, et à partir de ce point, l’aborder selon l’une ou l’autre des approches : comme un énigme à résoudre (attitude traditionnelle) ou comme un grain de sable dans une huître (gênant mais capable d’engendrer des perles – dans tous les sens du terme).

Un utilisateur nous pose deux questions sur Hieronymus Bosch. La première : quel est le sens du Jardin des Délices? La deuxième, sur quel matériel a-t-il été peint ? La première est évidemment protéiforme, les nombreuses monographies et thèses sur le sujet le démontrent, on ne peut que lui donner les références et l’orienter sur les plus vraisemblablement pertinentes selon le prestige de l’auteur, la profondeur et richesse de l’analyse, la fiabilité des sources…Et l’agrémenter, si le demandeur insiste et si nous en avons une, sur notre propre interprétation. Pour la 2ème question la réponse est plus concrète et simple, à condition d’aller chercher dans la bonne source : Le Jardin de Délices a été peint sur des panneaux de bois.

Il est évident que le documentaliste d’entreprise interrogé sur des chiffres ou sur la composition chimique d’un produit, ainsi que le bibliothécaire auquel on demande la date de naissance de Marcel Proust ont une marge de manœuvre assez restreinte, les questions sur des données concrètes et factuelles, formulées de manière précise, laissent peu de place à la créativité et font appel surtout aux compétences techniques et à la culture générale, les stratégies de recherche n’excluant pas bien entendu la créativité alliée à la rigueur.

Dans des situations différentes, où la question est floue, l’enquête commence par une reformulation, première étape créative et interprétative. De même que dans la psychanalyse, cette reformulation peut conduire à des régions dont le « patient » ne s’y attendait pas, mais c’est là qu’il voulait vraiment y aller ? Outre la mission d’orienter, le spécialiste ID a aussi celle de former, cette dernière pouvant être aussi comprise comme « façonner ». Ici l’aspect éthique est indissociable des compétences professionnelles… celles-ci suffisent d’ailleurs ?

Car au-delà des techniques et de la culture générale, il faut un « don » avec ou sans guillemets, une sorte de sixième sens pour détecteur les besoins, se faufiler dans la question, trouver la bonne attitude. Cette capacité, est-il possible de l’acquérir dans une école ? Et si réponse positive, quelles méthodes employer – à part des exercices à valeur plutôt folklorique ?

Arrivés aux confins du désert des Tartares, nous nous aventurons encore avec une question : La « bonne » information existe-elle ? Quand on voit que certaines grandes entreprises pourvues d’une batterie de consultants bourrés d’informations factuelles, techniques, concrètes prennent parfois des décisions catastrophiques, on se demande d’où vient le péché originel : l’incompétence – terme vague, les mauvaises données reçues, une vision déformée, un cerveau pré – mal- formaté ? Car il y a aussi l’interprétation de la réponse, région à la frontière de laquelle le spécialiste ID s’arrête. Comme si, après avoir reçu la bonne info concernant le support matériel du Jardin des délices , notre usager s’arrêtait à la croisée des chemins : celui de droite le conduit à une menuiserie où achètera des panneaux lui servant à peindre son propre triptyque, celui de gauche le conduit au Prado armé d’un chalumeau.

Articles : Bibliothéconomie, Documentation, Ethique, liberté

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